Origine : http://www.regards.fr/societe/l-utilite-politique-de-la
Mettre des caméras dans tous les coins de la ville, ça
ne sert à rien. Si ce n’est à soigner son image
auprès des électeurs. Le sociologue Laurent Mucchielli
s’interroge sur ce qui pousse de plus en plus d’élus
locaux, de droite comme de gauche, à se laisser tenter par
la vidéosurveillance.
Les études scientifiques démontrent à la fois
le peu d’efficacité et le coût exorbitant de
la vidéosurveillance. Et pourtant les communes – grandes
ou petites – continuent às’équiper de
plus en plus. Comportement irrationnel des élus ? Du point
de vue de la performance du dispositif, c’est évident.
Mais l’effet de mode et les attitudes conformistes ne suffisent
pas à expliquer que cela se développe à ce
point.
D’autres formes de rationalité sont à l’oeuvre.
Il faut donc inverser la question et se demander quelles «
bonnes raisons » ont les élus locaux d’agir ainsi.
On comprend alors assez vite que la vidéosurveillance, ça
sert aussi, et parfois même avant tout, à faire de
la politique auprès de ses électeurs.
Sachant que le mythe du progrès par la technologie est très
répandu et que les élus et leurs services techniques
ne sont généralement pas informés de l’existence
des critiques scientifiques de la vidéosurveillance, on ne
voit pas pourquoi ils y résisteraient. En réalité,
deux constats les poussent même fortement à adhérer
au dispositif et à le retourner à leur avantage (politique).
Pourquoi résister? ?
Premièrement, il s’agit quasiment d’une injonction
de l’Etat qui exerce une très forte pression sur les
élus locaux par le biais des préfets bien sûr,
mais aussi de la hiérarchie policière et gendarmique
sommée en quelque sorte de se transformer en représentant
de commerce des marchands de caméras.
Ainsi, par exemple, un article du journal Sud Ouest (le 16 octobre
2010) nous apprend que, l’avant-veille, lors de la séance
inaugurale du Conseil intercommunal de sécurité et
de prévention de la délinquance de Saint- André-de-Cubzac
(commune de 9 000 habitants en Gironde), le sous-préfet a
réclamé l’installation de la vidéosurveillance,
soutenu par le (nouveau) capitaine de gendarmerie.
Le maire (PS) résiste toutefois, persuadé qu’il
est (et il a raison) qu’il vaut mieux « renforcer les
moyens humains et embaucher un nouveau garde champêtre ».
Beaucoup d’autres n’ont pas résisté, même
lorsqu’ils partagent l’analyse.
Deuxièmement, malgré les critiques des associations
de défense des libertés publiques, la vidéosurveillance
est pour le moment acceptée par la majorité de la
population. La plupart des gens y sont assez indifférents,
une minorité (à fort sentiment d’insécurité)
la soutient même activement (les commerçants, les personnes
âgées). Pourquoi donc s’y opposer ? Pourquoi,
même, ne pas en profiter, récupérer l’idée
à son avantage et s’en servir activement auprès
de ses électeurs ? C’est ce que les maires sont de
plus en plus nombreux à faire.
Faits divers
La vidéosurveillance sert en effet à faire de la
politique auprès de ses électeurs. Pour ne fâcher
personne, nous prendrons un exemple dans chaque bord politique.
A gauche d’abord. La ville de Montpellier est équipée
depuis dix ans de la vidéosurveillance. En 2009, elle comptait
114 caméras, essentiellement dans le centre-ville et dans
le quartier de la Mosson où se trouve son grand stade de
football. Madame le maire (Hélène Mandroux, socialiste,
qui a succédé à Georges Frêche) compte-t-elle
développer encore le système ? La tentation de l’usage
politique pourrait l’en décider.
On le comprend en lisant le communiqué de presse de la mairie
publié le 30 septembre qui dit ceci : « En marge de
son déplacement dans le quartier Hôpitaux-Facultés,
Hélène Mandroux a rencontré aujourd’hui,
en tête-à-tête, Annick Neumuller, la mère
de Ludmilla, assassinée cet été dans le bureau
de tabac de la rue des Tilleuls. A l’occasion de cette visite,
les commerçants du centre commercial La Colombière
lui ont également remis une copie de la lettre adressée
à la Mairie. Hélène Mandroux les a informés
que la Ville mettait à l’étude l’installation
d’une caméra dans ce quartier dans le cadre du déploiement
de la vidéosurveillance à Montpellier. » Mettra
t-on une caméra dans chaque lieu de survenance d’un
dramatique fait divers médiatisé ?
A droite maintenant, où certains semblent prêts à
tout pour tirer parti de la mode actuelle. Jugez plutôt. Située
à une vingtaine de kilomètres au nord de Lyon et au
sud de Villefranche-sur- Saône, voici la commune de Chazay
d’Azergues, 4 000 habitants, paisible gros village de la région
du Beaujolais des Pierres dorées.
Jusqu’au ridicule
Le magazine Lyon Capitale et le site internet Rue 89 nous apprennent
le premier octobre 2010 que le maire, Alain Martinet (UMP), y a
fait installer 37 caméras de vidéosurveillance. Avec
un taux qui approche donc 1 caméra pour 100 habitants, Chazay
d’Azergues se trouve ainsi être désormais la
commune la plus vidéosurveillée de France. Rien ne
doit échapper à l’oeil des caméras selon
le maire, pas même l’école primaire (6 caméras),
ni l’école maternelle (3 caméras) ni même
la crèche que surveillent 6 caméras !
Le système se trouve ainsi poussé jusqu’à
la caricature et au ridicule. Or pourquoi une telle aberration,
sinon parce que ce maire pense que ses électeurs lui en seront
reconnaissants et que c’est donc une bonne opération
politique pour lui ?
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